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25 mai 2011

Adiós Hemingway, de Leonardo Pardura

Adiós Hemingway, de Leonardo Padura, chez Métailié Suites 2005 (2001 au Brésil), traduction de René Solis.

Adios Hemingway, Leonardo Padura, littérature cubaine, mois cubain, cuba

Leonardo Padura a créé un personnage récurrent dans ses livres, Mario Conde, flic à Cuba. Ce livre reprend ce personnage, mais il a quitté la Police criminelle pour se consacrer à l'écriture et s'intéresse également à la pêche, la nage et surtout au commerce du livre ancien. Alors que cela fait huit ans qu'il profite de cette vie plus douce, il ne peut résister quand Manolo son ancien collègue vient le voir pour lui proposer de travailler sur une affaire qui sort de l'ordinaire, en lui précisant que cela l'intéressera sûrement. Dans le jardin de la Finca Vigía, l'ancienne propriété de Ernest Hemingway, vient d'être découvert un cadavre planté de deux balles dans la poitrine datant d'il y a plus de quarante ans.

La Finca Vigia, maison de Hemingway à Cuba.Hemingway, Finca Vigia, Cuba

Leonardo Padura nous emène à Cuba où l'on oscille entre deux époques. D'une part celle d'aujourd'hui où le Conde tente de comprendre la situation qui a provoqué ce meurtre dans la fin des années 50 et bien sûr qui était cet homme et qui l'a tué, tout en se remémorant le souvenir prégnant de son unique rencontre avec Hemingway, par hasard, lorsqu'il était tout enfant avec son grand-père. Et d'autre part, l'époque de ce meurtre, l'époque où "Papa" Hemingway commençait à sentir peser les années. Et la magie de Padura c'est, au fil des découvertes du flic, de réussir à redonner littéralement vie à Hemingway, cet auteur mythique pour lequel le Conde hésite entre une admiration profonde et un dégoût prononcé.

Hemingway à l'écriture.

Hemingway, Cuba J'ai TEEEEEELLEMENT attendu pour lire mon premier livre de Leonardo Padura... Et je ne suis TEEEEEELLEMENT pas déçue !!! Et dire que Padura est un des premiers auteurs cubains que j'ai rencontrés croisés, puisqu'en 2004 nous étions allées avec Cryssilda, A Girl from Earth, et Chouette au génial Festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo (qui ressemble à Puerto Rico^^) qui était consacré cette année-là, miraculeusement, aux Caraïbes! Nous y avions donc croisé toutes nos idôles belles découvertes de l'époque : Leonardo Padura, Karla Suarez, Eduardo Manet, bref, un souvenir inoubliable dans un décor de rêve, et nous, au milieu, dans notre effervescence cubaine :) Alors, ce qui m'avait retenu jusqu'à présent, c'est bêtement le côté policier. En général c'est comme ça, ça ne me déplaît pas les policiers (j'en ai lu un peu), mais ça ne m'enchante pas bien non plus. Eh cette fois, j'ai été... ben, enchantée. Non seulement de découvrir un peu ce personnage romancé de Hemingway, mais également ce fameux Mario Conde, que j'ai vraiment hâte de retrouver, car la magie opère : c'est un personnage très attachant ! Je suis impressionnée de la vivacité des caractères peints par Padura en quelques pages (le live en fait 150).

Leonardo Padura chez lui à Cuba.

Leonardo Padura, littérature cubaine, mois cubain, cuba

Ce qui est très intéressant également dans l'écriture de Leonardo Padura, c'est de voir comment il fait passer des idées par petites touches, comme ça, au détour d'une reflexion, mine de rien, pour laisser deviner des choses. Regardez donc cet... effet miroir ? mise en abîme ? Euh.. Regardez donc cet exemple : je vous laisse découvrir "l'histoire de l'iceberg" page 141 entre Manolo et Conde :

- "Tu sais un truc ? J'ai relu la nouvelle dont tu m'avais parlé. La Grande Rivière au coeur double.
- Et alors ?
- C'est un récit bizarre, Conde. Il ne se passe rien et on sent qu'il se passe plein de choses. Il laissait travailler l'imagination de son lecteur.
- Ça, il savait faire. L'histoire de l'iceberg. Tu te souviens ? La masse cachée dans l'eau est sept fois plus importante que celle qui affleure à la surface... Comme maintenant, tu ne crois pas ? Quand j'ai découvert à quel point il faisait ça, j'ai essayé de l'imiter.
- Et qu'est-ce que tu écris en ce moment ?
Le Conde tira deux fois sur sa cigarette, jusqu'à sentir la chaleur dans ses doigts. Il regarda un instant le mégot avant de le jeter par la fenêtre.
- L'histoire d'un flic et d'un pédé qui deviennent amis."

-> Moi ça m'amuse énormément !!! Parce que d'une part, il lui explique la petite partie qui affleure alors qu'il y a l'énorme masse cachée mais qu'on devine, c'est donc l'histoire de la nouvelle d'Hemingway que Manolo a relue, ensuite Conde lui dit mais oui, c'est comme maintenant tu ne trouves pas, c'est à dire comme au niveau de l'écriture de ce livre, c'est donc clairement la voix de Padura ici, et l'apothéose c'est bien sûr, l'histoire du flic et du pédé qui deviennent amis, c'est l'histoire de Fresa y Chocolate ! On voit comment il amène le truc qui fait qu'on sait qu'il y a ce double langage, tout comme le dit le titre de la nouvelle, bref, je ne suis sans doute pas douée pour l'expliquer, mais je trouve ça génialissime.

Il y a beaucoup de passages avec des réflexions qui participent de cette grande humanité des personnages de Padura. Ici, c'est Hemingway qui parle avec Calixto, un de ses plus proches employés :

- "Quand je suis sorti de prison, je me suis juré deux choses : que je ne reboirais plus jamais un verre et que je ne retournerais jamais vivant dans une cellule.
- C'est vrai que tu n'as plus jamais bu ?
- Jamais.
- Mais c'était mieux avant. Quand tu buvais du rhum, tu racontais des histoires merveilleuses.
- Le patron des histoires ici, c'est toi, pas moi.
Il le regarda et s'étonna une nouvelle fois de la noirceur intacte des cheveux de Calixto.
- C'est tout le problème. Il faut que j'invente des histoires mais je n'y arrives plus. J'ai toujours eu un sac rempli de bonnes histoires mais à présent mon sac est vide. Je réécris des vieilles choses parce que je n'ai pas d'autres idées. Je suis fichu, vraiment fichu. Je croyais que c'était différent de veillir. Tu te sens vieux ?
- Quelquefois, oui, très vieux, avoua Calixto. Mais ce que je fais alors, c'est que j'écoute de la musique cubaine et je me rappelle que je me suis toujours dit que quand je serais vieux, je retournerais à Veracruz pour y mourir de vieillesse, et toujours sans boire.
- Tu ne m'avais jamais parlé de Veracruz.
- On n'avait jamais parlé de la vieillesse.
- Oui, c'est vrai, reconnut-il. Mais il reste du temps avant de retourner à Veracruz... Bon, je ferais mieux d'aller dormir."

Il me reste une chose dont je DOIS vous parler. Un délire du Conde, donc un délire de Padura, et franchement, c'est un délire digne de nos délires que nous pouvons avoir régulièrement Cryssilda et moi, à propos de tout et de n'importe quoi d'ailleurs, peu importe. Le délire, c'est les Hemingwayens Cubains !!! Je vous mets un extrait mais court pour ne pas trop en dire parce que c'est un peu la fin du livre, mais je ne peux pas laisser ce délire de côté :D ...

"Le Conejo dit que le temps passe, mais je crois que c'est un mensonge. Mais si c'était vrai, j'espère que là-bas toi aussi tu nous aimes toujours, parce qu'il y a des choses qui ne peuvent pas se perdre. Et si elles se perdent, alors cela veut dire qu'on est vraiment fichus. Nous avons presque tout perdu, mais il faut sauver ce que nous aimons. C'est la nuit, on est complètement bourrés, parce qu'on a bu du rhum à Cojímar : le Flaco, qui n'est plus maigre du tout, le Conejo qui n'est pas historien et moi qui ne suis plus flic. Et toi, qu'est-ce que tu es ou n'es pas ? On t'embrasse fort, et on embrasse fort Hemingway, si jamais tu le rencontes là-bas, parce que maintenant nous sommes des Hemingwayens cubains."

Vous l'aurez compris, Adiós Hemingway est un gros coup de coeurcoeur

Et maintenant, une petite chose pour aller plus loin. Le dernier livre de Leonardo Padura s'intitule L'Homme qui aimait les chiens, édité toujours chez Métailié. Et voici une interview de lui réalisée à Madrid le 27 avril 2011 à l'occasion de la sortie de ce livre. Je vous la traduis ci-dessous car j'aime toujours beaucoup comment Leonardo Padura parle de son pays, et comment il voit les choses.

http://www.publico.es/culturas/373081/en-cuba-casi-todas-...

"A Cuba, presque toutes les prédictions se sont révélées fausses"

Leonardo Padura. Ecrivain. Il nous offre, aujourd'hui à Madrid à l'occasion d'une conférence, un parcours littéraire à travers La Havane.

Leonardo Padura, littérature cubaine, mois cubain, cuba

Ce qui est étrange, ce n'est pas le manque de papier, c'est que le Ministère de la Culture cubain ait aidé à l'édition du dernier roman de Leonardo Padura. L'édition cubaine de L'Homme qui aimait les chiens, un portrait de Ramón Mercader qui parle des dernières années que l'assassin de Trotski a vécues dans l'Ile, a été présentée à La Havane il y a deux mois, deux ans après son édition espagnole (Tusquets). "Je pensais que ce roman ne serait pas publié à Cuba", affirme Padura dans les jardins de la Bibliothèque Nationale, où il profitait de son passage à Madrid (il présente aujourd'hui une conférence à la Fondation Ramón Areces) pour travailler à son prochain livre, une nouvelle aventure policière de Mario Conde. Ce sera "un roman sur la liberté", déclare-t-il.

Votre dernier roman était une critique du Stalinisme. Le thème du prochain est la liberté, est-ce qu'il s'agira d'une critique du castrisme ?

Non. J'essaie de ne pas me focaliser sur des thèmes très locaux. Ce roman aura un caractère très universel. Et la recherche de la liberté, je crois que cela nous touche tous, qu'on soit dans un société ou dans une autre. Parfois cela peut être venir de la politique, parfois de la religion, du marché ou des conventions sociales.

Est-il possible d'écrire contre le castrime à Cuba ?

Je crois que cela a de moins en moins de sens, et cela d'une manière évidente. Les réformes internes qui sont en train de se mettre en place sont une déconstruction de beaucoup de choses qui se sont maintenues des années durant : dans le domaine économique, social et même au niveau politique.

C'est quoi qui perd son sens, la critique ou la possibilité de l'exprimer ?

La possiblité de l'exprimer, cela ne perdra jamais son sens. La liberté d'expression est une nécessité pour l'artiste, dans n'importe quelle situation. Et pour l'individu dans la société, bien sûr. [La critique] pour moi, elle n'a jamais eu beaucoup de sens. J'ai toujours essayé de faire que la politique soit une atmosphère, un idée sous-jacente, une condition du roman mais pas sa partie centrale.

Vous êtes toujours optimiste par rapport à la possibilité d'un changement après le congrès du Parti Communiste ?

Je crois que oui. Voyons cela : moi, depuis des années, on m'a obligé à être optimiste. Parce que les années 90 là-bas ont été une période très dure pour la majorité des Cubains. Moi, je fais partie des Cubains chanceux : je vis de mon travail, je peux voyager presque en totale liberté, j'ai une maison. Mais la majorité des Cubain vit dans une situation assez limite. Je ne crois pas qu'on puisse parle de pauvreté ni de misère, mais c'est vrai qu'il y a cette nécessité quotidienne d'aller chercher son pain.

L'édition cubaine de votre dernier livre a été retardée parce qu'il n'y avait pas de papier.

Oui, ça l'a retardée. Mais bon, un des signes du changement, c'est que je pensais vraiment que ce roman ne serait pas publié à Cuba, il a été publié grâce au Ministère de la Culture qui a fait don du papier pour que cette édition cubaine puisse se faire.

Dans votre conférence d'aujourd'hui à la Fondation Ramón Areces sur l'image littéraire de La Havane, vous avez parlé de Guillermo Cabrera Infante et de Reinaldo Arenas, des auteurs qui ne peuvent pas être lus à Cuba.

Ils ne sont pas vendus, ils ne sont pas distribués, mais on continue à les lire. Surtout pour Guillermo et Reinaldo, je ne les cite pas pour le plaisir, ce sont des écrivains dont un auteur contemporain cubain ne peut pas se passer.   [Roi-naldo pawaaaa!!!]*

Mario Conde vous manque-t-il ? C'est un policier qui a toujours rêvé d'être écrivain, et il pourrait mener une enquête sur la disparition de ces livres.

Bien sûr que Mario Conde, en tant que personnage, et moi comme écrivain, nous devons beaucoup à toute cette littérature.

C'est envisageable un printemps arabe à Cuba ?

Ecoutez : en décembre 2010, j'ai lu une interview d'un écrivain égyptien. On lui demandait s'il pensait qu'il pourrait y avoir un mouvement social en Egypte. Il a répondu certainement pas. Deux mois plus tard, cela a eu lieu. N'importe quelle société peut subir un effondrement à n'importe quel moment. Et je ne m'aventurerais pas à faire des prédictions. D'autant plus dans le cas de Cuba où presque toutes les préditions se sont révélées fausses.

* note de la copieuse d'interview ^^

Commentaires

Un billet bien complet et intéressant. Quant au délire hemingwayen, trop fort! ^^ Sinon j'adore la photo de son intérieur, ça me plaît beaucoup!

Écrit par : Sabbio | 25 mai 2011

il est génial ton papier, lamalie !! tu as vraiment saisi, compris, phagocyté leonardo padura !! j'avais adoré ce livre. mais tous les autres aussi ! et toi qui n'aimes pas tellement les policiers (les romans, j'entends ;D) tu aimeras surement "le palmier et l'étoile", histoire d'une aventure autour du poète José Maria Heredia.

en plus tu traduis très bien, dis-moi !!

et quand vous avez été à saint malo, nous avons bu un café ensemble, tu te souviens ?

Écrit par : irene | 25 mai 2011

C'est TEEEEEEELLEMENT bien ! Un billet qui donne envie de lire Padura qui donne envie de lire Hemingway ! Moult mercis !

Écrit par : nathalie | 25 mai 2011

@ Sabbio : oui, c'est trop sympa d'avoir trouvé cette photo :) Et vivent les délires!!! Nous on est des cubains français... Hum, ouais, nan elle est vraiment nulle celle-là, ça ne marche pas :p
@ Irene : Alors mon prochain Padura sera Le Palmier et l'étoile, que cela soit dit!! Et merci merci pour le compliment, ça me fait très plaisir :) Et pour le café, mais oui bien sûr, je m'en suis souvenue dans le métro en partant travailler et je me suis dit boudiou mais c'est bien sûr, on avait rencontré Larouge :D et voilà, comme je n'ai été que de retour chez moi hier soir tard, tu m'as devancée pour rétablir la vérité. :)
@ Nathalie : Merciiiiii! Je vois que mon billet a bien rempli la fonction que je voulais lui donner : donner envie!!! Hihihi...

Écrit par : Lamalie | 26 mai 2011

Euh... tu parles du délire lié au Rhum ? :-))))
J'adore ta note de fin d'interview, on ne s'en serait pas douté une seconde :-)
Bon, ben dis donc, un sacré coup de coeur, je pense que je pourrai t'en passer si tu veux (si je les retrouve), je dois en avoir deux quelque part ici.

Écrit par : Cryssilda | 27 mai 2011

Avoir un blog souvent à jour est très indispensable pour maintenir le contact avec ses internautes, tout comme les commentaires c'est pour ça que je vous laisse ce commentaire pour vous encourager.

Écrit par : Machin | 13 mai 2014

Vraiment sympathique le dessin de votre blogue, je l'aime beaucoup, l'avez-vous créer vous même ?

Écrit par : france honduras | 15 juin 2014

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