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22 mars 2007

L'Inouï Music-Hall

http://www.lefigaro.fr/culture/20070319.FIG000000290_une_...

Une autre langue pour chanter

BERTRAND DICALE.
Publié le 19 mars 2007
Dans LE FIGARO
 
L'Inouï music-hall à l'IVT
L'Inouï music-hall est une « revue de chansons en langue des signes française », un spectacle de chansons par des sourds. Celui-ci est né de la collaboration entre l'International Visual Theatre d'Emmanuelle Laborit et le Hall de la chanson, deux institutions également passionnées et militantes. Serge Hureau, du Hall de la chanson, a guidé les comédiens sourds dans l'appropriation d'un répertoire à la fois classique et lettré. Avec Philippe Carbonneaux, de l'IVT, il les a mis en scène dans l'argument classique d'une répétition de spectacle de music-hall, ce qui permet toutes les libertés de jeu tout en suscitant un étonnant personnage de directeur de compagnie, incarné par le savoureux Levent Beskardès.
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Sur scène, trois musiciens jouent fort, parfois même très fort : Claude Barthélémy (guitare), Christian Lété (batterie) et Olivier Lété (basse) pratiquent un jazz électrique lyrique, enflammé, hendrixien, qui s'accorde magnifiquement avec le jeu expressionniste des comédiens. De la chanson réaliste à Brassens, de Piaf à Antoine, du Grand Orchestre du Splendid à L'Hymne des femmes (le chant féministe des années 1970 que l'on n'avait plus entendu depuis des lustres et qui trouve ici une interprétation magnifique), les chansons « signées » couvrent un large éventail de styles et d'intentions que les huit comédiens sourds (dont Emmanuelle Laborit, tant que sa grossesse le lui permet) incarnent avec une liberté et une ferveur surprenantes. De la stricte transcription en langue des signes (Comme un moineau par Chantal Liennel) à un art proche du mimodrame (Kheira Lamada dans Marquise), l'approche de la chanson par la seule expression du corps est une expérience singulièrement parlante, même lorsqu'il s'agit de chansons écrites par les comédiens directement en langue des signes (Julien Lours et Isabelle Voizeux). On redécouvre, dans ce contexte neuf, une évidence soudain éclatante : les chansons les plus émouvantes sont les mêmes, qu'elles soient chantées ou « signées ». Ainsi le jeu très théâtral de Salima Zerdoum dans Ma plus belle histoire d'amour c'est vous, la composition courageuse de Bachir Saïfi dans Comme ils disent, l'énergie et la sensualité d'Emmanuelle Laborit dans Déshabillez-moi ou dans L'Homme à la moto sont des interprétations à la pleine hauteur des originaux.
 

International Visual Theatre, jusqu'au 7 avril. Tél. : 01 53 16 18 18 et www.ivt.fr

 

03 février 2007

A voir à voir

Chers promeneurs toiliens,

Pensez à regarder "Avant la nuit" sur ARTE le mercredi 7 février prochain à 22h30, l'adaptation de l'autobiographie du même nom de Reinaldo ARENAS. 

"Adapté de ses mémoires, la vie de l'écrivain cubain Reinaldo Arenas, surdoué et homosexuel, en bute aux exactions de la dictature castriste, à la répression politique, à la persécution et à l'exil, sert de fil conducteur à ce film. De sa naissance en 1943 à Cuba à sa mort par suicide en 1990 à New York, son existence sera guidée par un anticonformisme viscéral. L’ensemble du film respire la beauté des longs-métrages de Terrence Malik («Badlands»). On pense à «La ligne rouge» pour son côté grave, au sens premier du terme. «Avant la nuit» est également proche du documentaire pour la complexité de l’histoire et les détails de l’Histoire. Schnabel, cinéaste mais aussi peintre, prend enfin le même plaisir que Malik à filmer la nature comme ses personnages principaux la voit, c’est-à-dire belle et forte. Belle et forte : comme la personnalité de Reinaldo Arenas magnifiquement interprété par Javier Bardem, un acteur incroyable. Plus connu pour ses rôles dans des films de Perdo Almodovar (petit rôle dans "Talons aiguilles", grand dans "En chair et en os"), il joue ensuite de son image de macho dans "Bocca a bocca" et se retrouve dans la peau de Reinaldo Arenas qui lui vaut deux nominations du meilleur acteur pour les Golden Globes et les Oscars en 2000. "

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Pensez à aller voir "Le Verre d'Eau", de Francis PONGE, adapaté en Langue des Signes et en langue française par Ivan MORANE, entre le 6 février et le 3 mars à IVT (Paris 9è).

"Réel défi que de mettre en scène la poésie de Francis Ponge. Néanmoins, Ivan Morane s'est lancé dans l'aventure en choisissant de surcroît, de faire appel au monde du silence pour donner vie à ce texte adapté par Yves Chevallier. Accompagné dans son travail par la comédienne Christine Wurm et Levent Beskardes artiste sourd, Ivan Morane contourne la difficulté du langage fait pour être lu en s'appuyant sur la complicité joyeuse et ludique de deux comédiens, générant une réflexion profonde, généreuse et pudique de l'être humain.Une table, deux verres et une cruche en terre cuite (plutôt magiques), une bouteille de vin (de Gaillac), des pommes de terre, une casserole et un réchaud à gaz, deux cahiers, (l’un tout en hauteur, l’autre comme un cahier d’écolier) constituent le matériel nécessaire à sa représentation. Selon la saison, on pourra y ajouter du mimosa. Les comédiens arriveront avec leur matériel dans un cageot , ils penseront très fort à Monsieur Verdoux (…) autrement dit à Charlie Chaplin . Ils veilleront cependant à proposer un conférencier crédible même s’il s’avère assez étrange pour ne pas dire tout à fait étrange par le regard qu’il porte sur les choses : le–regard-de-telle-sorte-qu’on-le-parle. Un parti pris."

Bonne promenade.

 

13 janvier 2007

Elle dépasse l'entendement

Portrait - Libération
Emmanuelle Laborit, 35 ans, comédienne révélée par «les Enfants du silence». Née sourde, elle a fait de son handicap un atout. Elle relance l'International Visual Theatre.

Elle dépasse l'entendement
Par Caroline de BODINAT
QUOTIDIEN : vendredi 12 janvier 2007
 
Elle n'est pas bavarde, Emmanuelle Laborit. On s'est planté, elle est pire. C'est une pipelette qui adore avoir le mot de la fin. Une chorégraphe de la prose qui sculpte l'espace en haut débit avec ses mains. Une militante de la gestuelle qui persiste et qui vous salue bien. Une tête de mule aussi, qui se montre très vite allergique à la sensiblerie, se coxant avec tout ce que le monde peut bafouiller de pleurnichard et de larmoyant. C'est une femme oiseau qui se plaît, avec l'aide de son interprète, à vous clouer le bec quand le sujet l'embarrasse de compliments. Perchée sur ses stiletto, elle fait rouler ses yeux noisette grillée à la façon des kabukis. Cette brune piquante, cheveux longs, frange sur le front, déteste les révérences, les questions lui demandant de décrypter son silence, la pitié dans tous ses états et, naturellement, le terme de handicapée du tympan.
Cette sourde de naissance s'en voulait secrètement de ne pas arriver à mêler l'humanité des sourds à celle des entendants. Elle dit : «Je voudrais conduire un laboratoire unique d'expériences qui se doit de dépasser l'entendement.» C'est chose faite à présent. Elle ressuscite le 16 janvier l'International Visual Theatre. L'IVT, a été créé en 1979 par Alfredo Corrado, artiste sourd d'origine américaine. C'est là et avec lui qu'elle est devenue comédienne. La troupe mixte qu'Emmanuelle Laborit dirige aujourd'hui est composée d'acteurs entendants qui parlent et de comédiens sourds, qui signent. Ce théâtre est aussi une maison d'édition et un centre culturel d'enseignement à la langue des signes accueillant huit cents élèves. L'endroit est niché au bout de la cité Chaptal à Paris, dans le neuvième arrondissement, quartier très lever de rideaux, rouge velours et applaudissements.
C'est à l'IVT qu'elle reçoit, dans un espace toujours en chantier. Concernant les travaux de rénovation, elle résume : «Ce lieu, on l'a entièrement repensé et fluidifié.» Quant aux travaux d'isolation, elle signe en souriant : «Vous n'imaginez pas comme les sourds sont parfois très bruyants !» Elle insiste sur le financement pour boucler un budget de 2,6 millions d'euros. Elle est salariée de l'IVT, mais taira le montant de son net à déclarer. Pas trop de blé.
Emmanuelle Laborit, c'est une femme sirène qui se serait esquissée à la Tim Burton. Elle dit avoir reçu «un don étrange qui lui a permis de transgresser un jour le mur du son». Sa réalité, elle ne la raconte pas d'une cartésienne façon. Choisit de vous plonger dans une histoire en jouant avec l'entièreté de «votre différence», ou de votre infirmité d'entendants, qui n'est autre que de rester «sourd à sa vraie culture, sa sensibilité, sa nature, son moi profond». 
Son père, sa mère et sa petite soeur Marie sont entendants. Psychiatre de métier, c'est son géniteur qui lui fera découvrir ce porte-voix. Ceci après avoir écouté sur France Culture un certain Alfredo Corrado, sourd et muet, s'exprimer par le biais de Bill Moody, son interprète au micro et dans la vie. La langue des signes, Emmanuelle Laborit la découvre à 7 ans. Chantal Liennel, une des premières comédiennes sourdes de la troupe de l'IVT, se souvient d'elle à l'époque : «C'était une enfant curieuse de tout, elle s'étonnait de voir que des adultes sourds existaient. Elle assistait aux répétitions, apportait une sorte de lumière et, comme il fallait donner un signe à son prénom, je lui ai donné le signe illustrant un soleil venant du coeur.» 
Avant, la petite Emmanuelle pratiquait un langage qu'elle décrit «ombilical avec [sa] mère, animal et instinctif avec [sa] soeur, comme un code particulier, fait de gestes et de mimiques». Jusqu'en 1991, l'enseignement à la langue des signes n'est pas admis en France par l'Education nationale. Elle passe son baccalauréat à 20 ans. Mettant fin à une adolescence tapageuse et révoltée, parfum entêtant et vanillé, clopes aux lèvres, consommation d'alcool non modérée. Longtemps, elle doit se forcer à oraliser des mots, à affronter le regard des autres, consciente de sa voix qu'elle imagine toujours «fluette et bizarre». Ses parents s'initient à la langue des signes, militent et continuent à le faire, ajoute-t-elle, pour que «cette forme d'expression ne reste pas dans la clandestinité, que l'on puisse permettre à une dauphine de Miss France de s'exprimer autrement que par la voix de l'oralité». 
Elle bavarde, Emmanuelle Laborit, mais d'elle n'aime pas parler. Des médias et de leurs raccourcis barbares, elle aurait tendance à se méfier. Les journaux ont titré à son sujet : «La sourde-muette reçoit le molière», avec son nom écrit en tout petit sous la photo. Dans son envolée, on lui a coupé les ailes, c'est ce que dit la demoiselle. Parce que, ce soir de 1993, quand elle monte sur scène cueillir le molière de la meilleure révélation théâtrale pour les Enfants du silence, ce n'est pas sa surdité qui va la gêner mais, comme toute reine d'un soir, la traîne de sa robe dans laquelle elle a peur, avec ses talons aiguilles, de se vautrer. Elle écrit un bouquin l'année d'après, deux cent vingt pages traduites en neuf langues. Le comble pour une femme qui n'aime pas se faire traiter de muette. A l'époque, elle disait : «Je vois comme je pourrais entendre, mes yeux sont mes oreilles, j'écris comme je peux signer, mes mains sont bilingues, mon coeur n'est sourd de rien, voilà ma différence.» 
Son verbe n'a pas changé d'un iota. Elle s'est juste tenue à l'écart du regard de la presse. Après les Enfants du silence, elle a joué Antigone au Festival d'Avignon, puis est partie en tournée sur les planches de France et d'ailleurs. Elle enquillera une douzaine de courts et de longs métrages, sous la direction d'Yves Angelo, de Mehdi Charef ou de Claude Lelouch. Du cinéma, elle raconte : «Je rêve d'un rôle de voyou, de violente, de méchante, mais ce qui m'étonne, c'est que les réalisateurs n'imaginent pas les sourds en gangsters !» Alors, on la cantonne dans des rôles de victimes, de souffrance, d'opprimée. «Pas très joyeux, le registre !» demande-t-elle à son interprète de préciser.
Sinon, Emmanuelle Laborit aurait presque tendance à dire qu'elle vit comme tout le monde. Elle ne croit pas à la biblique histoire du Verbe qui s'est fait chair. Vote à gauche, mais se dit pas encore convaincue par Ségolène Royal. Elle a pris la résolution de devenir patiente, s'acharne au boulot, se transporte en métro, et considère que comédienne, c'est toujours son métier. De 13 heures jusqu'à 22 heures tous les jours, elle répète le spectacle d'ouverture de la saison de l'IVT. Pas de repos, ni de répit pour Cordelia qu'elle interprète dans le K Lear. Elle rentre le soir chez elle, «morte de faim et épuisée». Prévient de cette normalité dans la foulée, elle attend un enfant pour le mois de mai. Du futur bébé, elle tait le nom de son père et dit : «Il choisira s'il veut être sourd ou entendant. Il sera bilingue parce que son père est sourd comme moi. On lui apprendra la langue des signes.» Puis elle s'est levée, a souri tout en rapprochant la main droite de sa bouche. On a cru que cela voulait dire au revoir, cela signifiait merci.

photo MATHIEU ZAZZO
 
Emmanuelle Laborit en 7 dates : 18 octobre 1971 Naissance à Paris ; 1980 Voyage au bout du métro, mise en scène par Ralph Robbins, première pièce de théâtre ; 1993 Molière de la révélation théâtrale ; 1994 Le Cri de la mouette (édition Robert Laffont) ; 1993 Molière pour les Enfants du silence ; 1995 Antigone au Festival d'Avignon ; Janvier 2007 Ouverture de l'IVT.