19 mai 2011
Sab, de Gertrudis Gómez de Avellaneda
Sab est le nom d'un homme à l'allure fière, au langage châtié, au port noble. Il n'a jamais connu son père, sa mère, dans son pays d'origine, était une princesse. Sab a été élevé avec Carlota, dont le père a toujours eu pour lui le plus bienveillant des regards. Cependant, Sab a la peau obscure, il est un esclave au service de Carlota de B... C'est lui qui gère l'équipe des servants de la famille de B... et comme il le dit si bien "l'âme est parfois libre et noble, même si le corps est enchaîné".
Enrique Otway est le fils d'un Anglais parti de rien et à arrivé à Cuba pour faire fortune. Après avoir fait ses études à Londres, le voici tout clinquant de retour dans l'île : un plutôt bon parti. Son père ayant pour lui le projet de le faire épouser la belle et la surtout riche Carlota de B..., souhaite surtout pour son fils et pour lui-même qu'en s'assurant d'une position, ils s'assurent également d'une belle richesse. Effectivement, ses affaires ont, depuis quelques temps, sévèrement tendance au déclin.
Cet extrait pour illustrer mon propos : "Il est notoire que les richesses de Cuba attirent de tout temps d'innombrables étrangers, qui grâce à quelqu'industrie et activité ne tardent pas à s'enrichir d'une manière ahurissante pour les indolents insulaires qui, se satisfaisant de la fertilité du sol et de la facilité avec laquelle on vit dans un pays d'abondance, s'endorment sous un soleil de feu et abandonnent à l'ambition et à l'activité des Européens toutes les branches de l'agriculture, du commerce et de l'industrie, grâce auxquelles ceux-ci fondent en quelques années d'innombrables familles."
Comme on peut s'en douter, Enrique Otway n'a rien contre l'idée de devenir riche et ne semble pas particulièrement dégoûté par la jeune et joyeuse Carlota, qui elle s'enflamme immédiatement pour ce jeune séducteur. Sab pour sa part flaire bien l'aspect tortueux de cette histoire, étant lui-même extrêmement attaché à sa maîtresse.
Cet extrait m'amuse : "Il se déclara alors prétendant de la demoiselle de B... et ne tarda pas à en être aimé. Carlota se trouvait à cet âge dangereux où le coeur ressent avec une grande vivacité le besoin d'aimer, et elle était de plus naturellement tendre et impressionnable. Une grande sensibilité, une imagination très riche et un esprit tout-à-fait vif sont des qualités qui, ajoutées à un caractère plus enthousiaste que prudent, devaient nous faire craindre pour elle les effets d'une première passion. Il était facile de prévoir que cette âme poète ne pourrait aimer longtemps un homme vulgaire, mais on devinait également qu'elle possédait des trésors d'imagination capables d'enrichir n'importe quel objet à partir du moment où elle voudrait les lui prodiguer."
Ce livre de Gertrudis Gómez de Avellaneda (ou Tula comme on l'appelle plus simplement) est un roman du XIXème siècle, dans la pure tradition romantique, mais sur fond de dénonciation sociale. La dénonciation de l'esclavage avec Sab, cet être à l'âme plus que noble (même s'il peut souvent sembler aussi un brin autain) et qui fait un véritable plaidoyer pour la liberté. Et la dénonciation en filigrane de la situation de la femme dans la société de l'époque qui n'est guère enviable, puisqu'elle n'a finalement aucun choix. Tula a grandi a Cuba puis est parti vivre en Espagne. On sent dans ce récit le grand attachement qu'elle porte au pays qui l'a vue grandir.
Un petit extrait : "Celui qui voudrait faire l'expérience, dans toute sa plénitude, de ces émotions indescriptibles, qu'il voyage parmi les champs de Cuba avec la personne aimée. Qu'il traverse avec elle ses monts gigantesques, ses immenses savanes, ses prairies pittoresques ; qu'il monte ses collines vallonnées couvertes d'une verdure luxuriante et qui ne flétrit jamais ; qu'il écoute dans la solitude de ses forêts le bruit de ses ruisseaux et le chant de ses oiseaux-moqueurs. Il sentira alors cette vie puissante, immense que n'ont jamais connue ceux qui habitent sous le ciel nébuleux du Nord; alors il faudra jouir pendant quelques heures d'une symphonie d'émotions... Mais qu'il n'essaie pas de les retrouver plus tard dans le ciel et dans la terre d'autres pays. Ils ne seront plus pour lui ni le ciel ni la terre."
J'ai aimé ce livre pour son témoignage d'un temps, cette peinture d'une société passée, je l'ai aimé aussi pour cette langue avec des manières de dire que je n'avais jamais vues (est-ce parce que c'est du XIXè ou est-ce que c'est parce que c'est cubain? les deux sans doute..) et pour la richesse de la langue. Comme on lit un classique, en fait. J'ai aimé lire ce romantisme un peu exacerbé, qui m'a amusé, mais finalement La Princesse de Clèves c'est pas ça aussi ? J'ai aimé cette évocation des rites ou des histoires un peu magiques, des croyances de l'époque. Et surtout ce personnage, Sab. Vraiment, une image de son caractère nous reste en tête, il est fort, puissant, et fragile aussi : j'ai adoré cette liberté d'esprit malgré son statut d'esclave tout ce que cela implique d'impossibilités dans une tête et dans une vie.
PS : je m'excuse par avance d'éventuels contresens ou maladresses dans les extraits cités car mon texte est en espagnol et j'ai traduit comme je le sentais!
PS suite : Une anecdote qui en réjouira plus d'une (blogueuse)(kiltissime), Gertrudis G. de A. met en exergue d'un de ces chapitres ce cher Ecossais de... Walter Scott ! ^^
20:15 Publié dans Cuba, Littérature | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
Bonjour, ça a l'air bien mais je n'ai pas compris s'il s'agissait d'un roman écrit au XIXe siècle ou contemporain ?
Écrit par : nathalie | 20 mai 2011
Bonjour Nathalie, c'est bien un roman du XIXème siècle, Sab est le premier roman écrit par l'auteur (1814-1873) et il a été publié pour la première fois en 1841. Dans mon édition espagnole Catedra - Letras Hispanicas, il y a d'abord une grande partie qui explique sa biographie et le roman (que je n'ai pas lue..), et ensuite au début du texte, l'auteur dit "deux mots au lecteur" expliquant que c'est une oeuvre de jeunesse, qu'à l'époque elle avait écrit ça pour se distraire et sans aucune idée que cela pourrait être publié, et que ce texte a dormi plusieurs années. Et elle dit que si elle l'écrivait ajd (on imagine qu'il s'agit de 1841?), il y aurait des choses qu'elle ne dirait pas ainsi car ses idées ont évolué, mais peut-être par paresse ou peut-être par refus de toucher à ce qui a été écrit avec une grande conviction à l'époque, elle a décidé de le publier tel quel et elle demande aux lecteurs qui trouverait des choses à redire de ne pas oublier que ce texte a été dicté par les sentiments, parfois exagérés mais toujours généreux, de la jeunesse.
Écrit par : Lamalie | 21 mai 2011
Ce livre semble même avoir été adapté au cinéma et par un cubain (http://www.dianayjade.com/info.asp?itemid=3471&cat=&gen=&countryid=&MediaType=DVD&page=136&search=)... Ca vous donne envie de le voir, vous ? ^^
Écrit par : Lamalie | 21 mai 2011
Mmh évidemment si tu choisis un roman du XIXe, je suis bien obligée de me laisser diablement tenter ! Je le note pour un prochain achat en Espagne, à moins qu'il ne soit également traduit ?
Écrit par : Lou | 22 mai 2011
Merci pour cette réponse très précise ! Il y a toujours plus d'écrivains femmes que ce que l'on pense. Je note le nom de cette dame, ça me dit bien d'essayer.
Écrit par : nathalie | 22 mai 2011
Ah ça me tente, mais pour plus tard :-) donc je note le titre et te remercie! :-)
Écrit par : Cryssilda | 27 mai 2011
Je vais voir si je le trouve à Barcelone le we prochain :)
Écrit par : Lou | 06 juin 2011
Ah, tu devrais le trouver Lou, c'est là-bas que je l'avais acheté :)
Écrit par : Lamalie | 07 juin 2011
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