14 juin 2011
Jorge Camacho - un hommage
J'ai lu pour la première fois le nom de Jorge Camacho en cherchant de qui pouvait bien être cette étrange et belle illustration du livre Celestino avant l'aube, de Reinaldo Arenas que j'étais en train de lire.
J'ai alors découvert que Jorge Camacho était un artiste cubain et que ce n'était vraiment pas par hasard qu'il illustrait la couverture de cette réédition d'un livre de Reinaldo, et même TOUS les livres de Reinaldo Arenas réédités chez Mille et une nuits.
Jorge Camacho est né en 1934 à La Havane qu'il quitte en 1959 pour s'installer à Paris, où il rencontre sa femme, Margarita étudiante espagnole, et les surréalistes dont André Breton. Il se crée son style petit à petit, faisant se cotoyer d'un côté les tons pastels et les courbes et de l'autre les couleurs vives, les piquants et le feu. Il s'attache à peindre tout ce que le réel a d'énigmatique et de paradoxal. Très tôt, en 1967 lors d'un voyage à Cuba avec Margarita, il découvre le premier livre de Reinaldo Arenas (eh oui, son premier livre Celestino antes del alba est bien paru à Cuba, et plus aucun autre après!), tombe sous le charme de cette écriture étonnante, et le couple prend contact avec lui, et réalise que la Révolution n'est pas tout à fait ce que le monde semble vouloir qu'elle soit...
Tout de suite, une relation s'instaure, épistolaire d'abord puis très vite Jorge et Margarita feront sortir de Cuba des manuscrits de Arenas et les feront publier à l'étranger. C'est le début d'une forte et indéfectible amitié entre les Camacho et Reinaldo Arenas. Depuis 1975, Jorge et Margarita vivent entre Paris et l'Andalousie, dans cette paisible maison "Los Pasajes", où je pense a été prise cette photo qui me plaît tant car on voit Reinaldo travailler dans un environnement qu'on imagine un des plus paisaibles qu'il ait pu connaître :
Pour en revenir à Jorge Camacho, vous pouvez trouver de très nombreux tableaux de lui reproduits dans un superbe livre d'art qui lui est consacré "Jorge Camacho, vue imprenable" bilingue espagnol (Confines lejanos) de Anne Tronche chez Palantines. Et voici ici une très belle vidéo où l'on voit Jorge Camacho créer un tableau, prenez 10 minutes de votre temps pour contempler une création :
Depuis plusieurs années que je m'intéresse à la culture cubaine, j'essaie d'aller quand je peux aux rencontres sur ce thème et c'est vrai que sur Paris, nous avons la chance d'avoir une certaine actualité cubaine. :)
Le 2 mars 2009, la Maison de l'Amérique Latine organisait, à l'occasion de la publication de la correspondance entre Reinaldo Arenas et les Camacho, un événement que j'annonçais sur mon blog. Cette rencontre réunissait Zoé Valdès (toujours présente et souvent à l'origine je pense, de ce genre d'événements), Margarita Camacho -Jorge déjà trop fatigué pour être présent- (grands amis donc, et légateurs testamentaires de Reinaldo Arenas), Aline Schulman la traductrice de cette correspondance, Joris Lagarde ce français parti à Cuba pour apporter un bateau à Reinaldo pour qu'il puisse s'échapper autrement que sur un vieux pneu de récup' ; Juan Abreu qui faisait le lien entre Reinaldo et ce petit français de Joris qui venait le chercher, et Olivier Amesein ce médecin français résident aux Etats-Unis et qui a soutenu et aidé Reinaldo alors qu'il n'avait plus goût à rien quand il était très malade à la fin. Pour le distraire, il a demandé à Reinaldo d'écrire deux chansons, ce qu'il a fait et Olivier Amesein les a mises en musique et chantées : Hymno (Hymne) et Una Flor en la memoria (Une Fleur dans la mémoire). Cette correspondance Reinaldo Arenas - Lettres à Margarita et Jorge Camacho (1967 - 1990) est très riche et extrêmenent émouvante. On sent vraiment que Reinaldo vit pour la littérature, qu'il est extrêmement angoissé et a peur de tout, que Jorge et Margarita Camacho sont une véritable bouée à laquelle il s'accroche pour vivre et garder espoir... On voit Reinaldo tel qu'il est dans tout son génie et sa part de folie aussi. C'est un livre à parcourir, à lire et relire...
Lors de cette rencontre, a été projeté un extrait du documentaire Seres Extravagantes (56 min) de Manuel Zayas qui présente le processus de marginalisation, de répression et de négation des homosexuels à Cuba par l'histoire de Reinaldo Arenas et avec des interventions de proches de l'auteur. Les extraits que j'ai trouvés sur Internet sont de mauvaise qualité, je vous ai donc sélectionné cette vidéo qui commence par une série de photos de Reinaldo Arenas, et qui vers 3:50 se poursuit par un extrait du film Habana de Jana Bokova où l'on voit Reinaldo s'exprimer sur son quotidien en exil mais également sur ce qu'il a vécu pendant sa persécution à Cuba :
Pour continuer un instant avec Reinaldo, un petit photo-montage de la librairie Salón del Libro (Paris 5è) qui faisait un hommage à Reinaldo Arenas, le 18 mars 2010, à l'occasion des 20 ans de sa mort, où nous étions présentes avec Cryssilda (petit clin d'oeil à toi!) et où de nombreux auteurs, journalistes, traducteurs, éditeurs, etc étaient venus pour cet hommage parisien à Reinaldo Arenas.
Et on voit ici Margarita Camacho s'exprimer au sujet de leur lien Jorge et elle avec Reinaldo Arenas (la vidéo fait un peu amateur, mais on passera sur ce point ;)
Jorge Camacho est donc décédé le 30 mars dernier à Paris à l'âge de 77 ans. Il est enterré au cimetière du Père Lachaise. Cryssilda et moi avons dédié ce mois cubain à Jorge Camacho.
PS : comme d'habitude en ces lieux, toute illustration appartenant à une personne qui ne serait pas d'accord pour qu'elle se trouve ici, pourra être retirée immédiatement à la demande du-dit propriétaire.
13:30 Publié dans Arts, Cuba, Littérature | Lien permanent | Commentaires (4)